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ensemble, et tout le temps de ma vie, si je ne vous quittais pas.

Et quand ce discours qu’il me tenait aurait duré tout le temps de la mienne, il me semble qu’il ne m’aurait pas ennuyé non plus, tant la joie dont il me pénétrait était douce, flatteuse, et pourtant embarrassante ; car je sentais qu’elle me gagnait. je ne voulais pas que Valville la vît, et je ne savais quel air prendre pour la mettre à couvert de ses yeux.

D’ailleurs, ce qu’il m’avait dit demandait une réponse ; ce n’était pas à ma joie à la faire, et je n’avais que ma joie dans l’esprit ; de sorte que je me taisais, les yeux baissés.

Vous ne répondez rien, me dit Valville ; partirez-vous sans me dire un mot ? Mon action m’a-t-elle rendu si désagréable ? Vous a-t-elle offensée sans retour ?

Et remarquez que, pendant ce discours, il avançait sa main pour ravoir la mienne, que je lui laissais prendre, et qu’il baisait encore en me demandant pardon de l’avoir baisée ; et ce qui est de plaisant, c’est que je trouvais, la réparation fort bonne, et que je la recevais de la meilleure foi du monde, sans m’apercevoir qu’elle n’était qu’une répétition de la faute ; je crois même que nous ne nous en aperçûmes ni l’un ni l’autre, et entre deux personnes qui s’aiment, ce sont là de ces simplicités de sentiment que peut-être l’esprit remarquerait bien un peu s’il voulait, mais qu’il laisse bonnement passer au profit du cœur.