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car ce discours-là ne peut pas s’adresser à moi.

LA COMTESSE

Fort bien ! me voilà devenue visionnaire à présent ; continuez, Monsieur, continuez ; vous ne voulez pas rompre le dédit ; cependant c’est moi qui ne veux plus ; n’est-il pas vrai ?

LÉLIO

Que d’industrie pour vous, sauver d’une question fort simple, à laquelle vous ne pouvez répondre !

LA COMTESSE

Oh ! je n’y saurais tenir ; capricieuse, ridicule, visionnaire et de mauvaise foi ! le portrait est flatteur ! Je ne vous connaissais pas, Monsieur Lélio, je ne vous connaissais pas ; vous m’avez trompée. Je vous passerais de la jalousie ; je ne parle pas de la vôtre, elle n’est pas supportable ; c’est une jalousie terrible, odieuse, qui vient du fond du tempérament, du vice de votre esprit. Ce n’est pas délicatesse chez vous ; c’est mauvaise humeur naturelle, c’est précisément caractère. Oh ! ce n’est pas là la jalousie que je vous demandais ; je voulais une inquiétude douce, qui a sa source dans un cœur timide et bien touché, et qui n’est qu’une louable méfiance de soi-même ; avec cette jalousie-là, Monsieur, on ne dit point d’invectives aux personnes que l’on aime ; on ne les trouve ni ridicules, ni fourbes, ni fantasques ; on craint seulement de n’être pas toujours aimé, parce qu’on ne croit pas être digne de l’être. Mais cela vous passe ; ces sentiments-là ne sont pas du ressort d’une âme comme la