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sans chercher même de prétexte ; cette atténuation des torts de son sexe ne résulte point du fond de la pièce ; Églé n’a d’autre raison que son caprice pour immoler Azor à Mesrin.

Quant à la question en elle-même, elle n’est pas plus résolue qu’avant l’épreuve. C’est une femme qui est infidèle la première, parce qu’elle est la première qui ait eu occasion de l’être. S’il était possible de conclure du particulier au général, il semble que du moins Marivaux aurait dû placer en même temps un jeune homme et une jeune fille dans une position parallèle ; on aurait vu lequel des deux eût fait les premiers pas vers l’infidélité ; mais, au fond, de quelque part que fût venue la démarche, qu’est-ce que cela aurait prouvé pour ou contre l’un des deux sexes, relativement à la question débattue ? Tous les amans sont-ils des Azors ? toutes les amantes, des Églés ? C’est l’affirmative de cette proposition qu’il fallait démontrer, et l’on sent trop que la chose était impossible.

Il ne faut pas s’étonner du peu de succès qu’obtint la Dispute. Elle fut mal accueillie à la première représentation. L’auteur eut la prudence de la retirer, et elle n’a jamais été jouée depuis. Je doute qu’il fût possible de la remettre au théâtre.

On y trouvera pourtant dans quelques scènes cet esprit fin, délicat et observateur, qui ne manque jamais à Marivaux. La coquetterie naturelle des femmes, l’orgueil qu’elles éprouvent à triompher d’une rivale, le plaisir qu’elles mettent à l’humilier, la vivacité d’un premier sentiment, les préventions de la jalousie, tout cela est saisi avec beaucoup de vérité ; il est malheureux que ces détails précieux soient noyés dans une froide et insignifiante métaphysique. Au total, la Dispute est à la fois un ouvrage et une erreur d’un homme de talent.