Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/147

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je suis l’auteur de tout, il ne demandait rien.
Ce héros, qui se fie à ces marques d’estime,
S’attend-il que mon cœur achève par un crime ?
Le Sénat qui travaille à séduire ce cœur,
En profitant du coup, il en aurait horreur.

HIÉRON

Non : de trop de vertu votre esprit le soupçonne,
Et ce n’est pas ainsi que ce Sénat raisonne.
Ne vous y trompez pas : sa superbe fierté
Vous presse d’un devoir, non d’une lâcheté.
Vous vous croiriez perfide ; il vous croirait fidèle,
Puisque lui résister c’est se montrer rebelle.
D’ailleurs, cette action dont vous avez horreur,
Le péril du refus en ôte la noirceur.
Pensez-vous, en effet, que vous devez en croire
Les dangereux conseils d’une fatale gloire ?
Et ces princes, Seigneur, sont-ils donc généreux,
Qui le sont en risquant tout un peuple avec eux ?
Qui, sacrifiant tout à l’affreuse faiblesse
D’accomplir sans égard une injuste promesse,
Égorgent par scrupule un monde de sujets,
Et ne gardent leur foi qu’à force de forfaits ?

PRUSIAS

Ah ! lorsqu’à ce héros j’ai promis Laodice,
J’ai cru qu’à mes sujets c’était rendre un service.
Tu sais que souvent Rome a contraint nos États
De servir ses desseins, de fournir des soldats :
J’ai donc cru qu’en donnant retraite à ce grand homme,
Sa valeur gênerait l’insolence de Rome ;
Que ce guerrier chez moi pourrait l’épouvanter,