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Sans lui j’allais, sans trouble, épouser Annibal.
Ô Rome ! que ton choix à mon cœur est fatal !
Écoute, je veux bien t’apprendre, chère Égine,
Des pleurs que je versais la secrète origine :
Trois ans se sont passés, depuis qu’en ces États
Le même ambassadeur vint trouver Prusias.
Je n’avais jamais vu de Romain chez mon père ;
Je pensais que d’un roi l’auguste caractère
L’élevait au-dessus du reste des humains :
Mais je vis qu’il fallait excepter les Romains.
Je vis du moins mon père, orné du diadème,
Honorer ce Romain, le respecter lui-même ;
Et, s’il te faut ici dire la vérité,
Ce Romain n’en parut ni surpris, ni flatté.
Cependant ces respects et cette déférence
Blessèrent en secret l’orgueil de ma naissance.
J’eus peine à voir un roi qui me donna le jour,
Dépouillé de ses droits, courtisan dans sa cour,
Et d’un front couronné perdant toute l’audace,
Devant Flaminius n’oser prendre sa place.
J’en rougis, et jetai sur ce hardi Romain
Des regards qui marquaient un généreux dédain.
Mais du destin sans doute un injuste caprice
Veut devant les Romains que tout orgueil fléchisse :
Mes dédaigneux regards rencontrèrent les siens,
Et les siens, sans effort, confondirent les miens.