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LE VENT SE LÈVE

ment. Qui, d’ailleurs, n’en fait pas autant à mon sujet ? Monsieur le Principal, mes élèves, monsieur l’Inspecteur Général, et j’allais m’oublier moi-même : me suis-je jamais pris au sérieux ? Je suis sans os et sans limites, sans rien où m’attacher en moi. Je ne crois pas à mon existence. Qui y croirait ? Un lieu, pourtant, mais un lieu vague, le lieu d’un rêve, de plusieurs rêves. Je pense à ces clairières soudaines, entr’aperçues, où dansaient, c’était au printemps, quelques jeunes filles qu’on ne verra plus. Et la clairière elle-même pourtant, qu’on savait, qu’on croyait savoir, c’est en vain qu’on la cherche encore.

Au temps de mon amour pour Thérèse, j’ai bien cru commencer à vivre, commencer à me sentir vivre. Avec effort, pourtant, il faut le dire, et m’obligeant à penser, chaque fois qu’elle était tendre : « C’est pour toi qu’elle dessine ce geste ; le mot qu’elle dit, c’est à toi qu’elle le dit vraiment. À toi ! » Et je pensais au fond de moi : il v a erreur, cela ne te concerne pas. Et tout de même, en persévérant, et à force d’incantations, je suis parvenu à me croire, à croire Thérèse, à croire que le chemin ouvert était le seul chemin pour moi, l’inévitable ; à croire — oui, j’ai vraiment cru ça ! — que je connaissais mon destin, que je savais, enfin, ma pente.

J’ai longtemps été malhonnête. C’est si commode d’être quelqu’un. Enfin, la lassitude