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nous, meurt avec nous ; seul subsiste le dépassé.

Avec les fruits que je n’ai pas goûtés, avec les femmes aimées que je n’ai pas connues, j’ai édifié une œuvre silencieuse dont rien encore n’a paru au dehors, dont rien peut-être ne paraîtra jamais, je veux dire en ce monde grossier : il semblerait qu’à mesure qu’elle s’élève, elle se détruise aussi, dans l’ombre où elle s’enfonce, comme rongée invinciblement. Je ne saisis que cette clarté dans laquelle mes deux mains travaillent, mais l’œuvre entière sera lisible au dernier jour.

Que dire de plus ? j’ai trop parlé et n’ai fait que parler pour moi. Il me semble même avoir prêché. Les mots de Dieu, de vérité et de lumière, je n’eusse pas dû les employer : tant d’autres l’ont fait avant moi et leur ont donné un tel sens J Et puis voilà que je vous ai voulu, parce que je vous aime, naïvement à ma ressemblance. J’ai dessiné votre chemin. Il eût sans doute fallu se taire, attendre encore : notre sagesse, celle des vivants, fussent-ils vieux, et humbles de cœur, est imbécile et sans douceur. Et parfois même elle terrifie. La seule sagesse que nous puissions comprendre, nous la lisons, quand ils sont morts, sur le visage de ceux que nous avons aimés.