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même de tenir de pareils propos — que la louange n’est pas dans le thème choisi mais dans la forme même et quel que soit l’objet du chant, — j’ai parlé de sculptures profanes, en apparence, et tellement belles qu’elles en deviennent religieuses ; j’ai parlé d’infâmes petites Thérèses, d’infâmes petits cantiques… M. Rousseau n’a pas compris. Il m’a même dit, et son regard devenu trop sérieux, était comique : « Monsieur l’Abbé, je m’étonne de vous entendre parler ainsi. Dieu n’a que faire de nos beautés. Il lui suffit d’un cœur sincère. » Tout aussitôt, il s’est excusé : « Je vous demande pardon, monsieur l’Abbé, ce n’est pas à moi à parler ainsi, non pas à moi, après tout ce qui m’est arrivé… » Il a regardé mélancoliquement le ciel, et soupiré. Comme je m’informais de sa petite famille, il m’a répondu : « On ne me prend plus au sérieux. Je ne pèse plus. Je n’ai jamais pesé. Je suis un homme fichu, monsieur l’Abbé. » Il s’est tu un instant, puis a repris : « Et savez-vous que j’aime être un homme fichu… Je me dis (il parlait craintivement, comme supposant une vive désapprobation), je me dis qu’il n’y a pas, monsieur l’Abbé, à bien parler, oui, à parler rigoureusement, qu’il n’y a pas de réussite chrétienne, que le chrétien, s’il est chrétien, s’il tâche de l’être, n’est qu’un pauvre type mis en croix… C’est là-dessus que je fonde espoir, et sur la grande bonté de Dieu. »