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me parut parfois être innocent comme un enfant.

« Monsieur l’Abbé, je n’entends rien à vos histoires, je veux dire à vos bondieuseries. Moi, je n’ai jamais su qu’une seule chose, ou à peu près, qui s’appelle vivre. Oui, je n’ai jamais su que vivre. Comprenez-vous ce que ça veut dire ? »

J’eus un mouvement d’acquiescement timide, un peu ridicule à ce que je crois, qui lui fit hausser les épaules.

« Vivre, monsieur l’Abbé, ça veut dire faire tout ce qu’on a à faire, connaître tout ce qu’il y a à connaître, aimer tout ce qu’il y a à aimer. »

Je hasardai, mettant sous ce mot la nuance d’un doute et d’un reproche : « Tout ? » Il me regarda droit dans les veux et cria : « Tout ! Oui, monsieur l’Abbé, et je sais ce que ça veut dire J II n’y a pas une fille, pas une jeune femme, entendez-vous, que j’aie désirée et que je n’aie fini par connaître. Par ce que vous appelez connaître, dans vos bouquins — ce que j’appelle, moi… » Ici, je ne puis plus transcrire. « Et des pays, monsieur l’Abbé, j’en connais autant qu’un homme en peut connaître, autant, en tout cas, que j’en ai désiré. Et puis j’ai bu. Et j’ai fumé. Et pas seulement du tabac, monsieur l’Abbé. »

Il baissa un moment la tête : « Ah ! croyez-moi, j’ai aimé la terre ! Je voulais voir, com-