Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
LE VENT SE LÈVE

ce qu’on a fait au pauvre Viard : ils l’avaient ficelé dans sa classe, sur son bureau, et ils dansaient autour de lui. C’est le Principal qui l’a délivré. Non, pas jusque-là. Mais, tout, de même, je manque quelquefois d’autorité. Les enfants ici le savent bien. Je m’essaie parfois à gronder, mais je ne me crois pas, et ils le sentent. Je n’ai jamais pu prendre au sérieux leur action la plus criminelle. Ils me désarment. Je crois, au fond, que tout leur est permis, et qu’ils vivent dans un monde sans défenses. La belle doctrine ! Et le malheur, c’est qu’en secret je me l’applique à moi aussi. Oui, je crois que tout m’est permis. Si je n’en fais rien, c’est faute, sans doute, d’être tenté, parce que je ne suis pas assez fort, assez viril : j’ai eu ma moustache assez tard, et peu fournie. Si j’étais fort, j’aurais à lutter contre moi, je comprendrais la discipline. Pour moi. Et sûrement l’imposerais-je aux autres.

Mon unique tentation, pour lors, c’est d’écrire, et d’écrire des pages en me cachant. J’y goûte le plaisir le plus vif. Allons au bout de ma pensée : un plaisir assez proche, ma foi, de ce qu’on nomme plaisir solitaire. Quand je me rappelle, c’était bien le même tressaillement, la même délicieuse inquiétude, la même attente. Et le grenier peut-être même… Non, il n’est pas indifférent que je médite dans ce grenier.

Je suis heureux. Oui, en dépit de ce que je