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taillait en massif de toits. Le fiacre suivait maintenant le quai Saint-Bernard presque désert : rafraîchi par la brise fluviale, Claude se remettait lentement : il ne s’appartenait plus ; il restait effrayé de tant de monde, des rues pleines d’hommes qui passent sans vous regarder. Il était gêné jusqu’au cœur par cette indifférence universelle et absolue qui pesait sur lui comme une condamnation morale : il se sentait aussi piteux qu’un paria par la notion, immédiate, qu’il ne faudrait compter sur personne, qu’il aurait à se débrouiller tout seul. Le cocher lui-même n’était pas prévenant comme les cochers nègres qui savent la valeur de l’argent des blancs, mais presque méprisant comme s’il ne devait pas être payé. Cocher affreux et rouge à poil de porc ! Paris se montrait plutôt laid, avec ses rues bancales et graisseuses, rue des Fossés-Saint-Bernard, rue de Jussieu, rue du Cardinal-Lemoine, rue d’Arras, avec ses devantures rapiécées et mendiantes de boutiques de journaux illustrés, les petites voitures de choux flétris alignées au carrefour devant des vieilles grognardes, les étalages sales des marchands d’huiles où moisissaient près d’un panier d’huîtres boueuses des citrons couverts de poussière. Oh non alors ! ce n’était plus la France, la France des cartes de géographie, des pages choisies de prose ou de poésie, la France toute en notion de « douceur », d’amabilité, de moissons soignées, de rues neuves et de campagnes en jardins qu’il s’était imaginée. Il s’était dit qu’on trouvait en province des paysans grossiers et avares ; mais les Parisiens, il se les était toujours représentés polis et