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« Eva, je souflre, Eva. Tu sais comment les créoles aiment ! Je souffre mais je suis heureux de toi. Je souffre que tu sois si loin, comme ces mouettes qui viennent voler près du bateau et qui aussitôt remontent, montent, montent, disparaissent avec mon regard fatigué dans le bleu. Mais en même temps je ne doute pas un instant de toi alors qu’à Saint-Denis j’étais toujours jaloux ; je suis sûr que je tiens la première place dans ton cœur, et il me semble que mon absence même me rend un peu sacré et que personne n’oserait chercher à diminuer ton amour pour moi. Ah ! ton amour, Eva… petite éternité, Eva chérie ! Ici, à bord, il n’y a pas d’Eva ! il n’y a que des mouettes et du vent. Elles crient, chérie adorée, des cris qui vous grincent dans le cœur comme les poulies rouillées du bateau. Cela me rend tout triste, et à force d’entendre tout autour de moi ce vol de plaintes qui accompagnent comme des souvenirs notre bateau, le suivant puis le devançant, mon cœur aussi se met à gémir. Tu ne peux pas sentir combien je t’aime, j’ai envie de pleurer, de crier. Je me dis pour me remonter que je vais travailler pour gagner ta vie.

« Travaillons bien tous deux à nous rejoindre ! Je garde tout le temps dans ma pochette avec ta photographie la lettre que tu m’as glissée dans la main quand la cloche a sonné. Merci, petite fiancée adorable et éternelle. Toutes les fois que je regarde ton visage, je me répète ce nom qui est déjà pour moi une chose éperdûment douce de l’autre monde : Eva Fanjane