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membres, et mon cœur même était lié. Ah ! ma bien-aimée Eva, je ne puis pas comprendre que je sois loin de toi ; et on me dirait que c’est moi qui t’ai quittée avec ma volonté que je ne le croirais pas.

« Je ne puis savoir à quelle heure je me suis assoupi : je sentais seulement, et même pendant que je dormais, qu’il y avait beaucoup de temps qui se passait, une véritable éternité. Ma tête travaillait. J’étais abruti de douleur et cependant j’étais traversé par de grandes visions persistantes, j’ai eu vraiment la sensation de l’éternité, de ces immenses espaces bleus et froids, sans terres, traversés de grands courants d’air, que j’imaginais, étant enfant, mener d’ici-bas à l’endroit où l’on nous juge. C’est qu’il me semble vraiment aussi que, depuis que j’ai quitté notre île, c’est dans l’éternité que je suis, dans une chose sans fin et presque sans consistance, et je dois faire un effort pour pensera toi, pour me dire que tu as existé et que tu existes encore en réalité, que tout cela n’est point qu’un cauchemar de mal-de-mer ; et c’est machinalement que je t’écris, quoique ce soit avec tout mon cœur. Je suis sur le bord d’une table près de l’escalier par où tu as quitté le bateau.

« Je suis descendu à Tamatave comme dans un rêve on a nettement la sensation qu’on descend dans un pays imaginaire. Les bourjanes qui traversaient les rues, à moitié nus avec leurs pagnes flottants, leurs têtes abruties de fumeurs de chanvre, les maisons en bois sur pilotis avec les étalages de mouchoirs de couleurs, les filanzanes qui passent rapidement, puis, lorsque la nuit est venue tout d’un coup,