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les bonnes manières d’autrefois : nous sommes de vieille souche.

— Remarquez pourtant, madame, fit Chouchoute d’une voix piquante, comme… toutes nos amies à Eva et à moi font la cour aux officiers.

— Que voulez-vous ? à part quelques exceptions, les jeunes gens créoles qui quittent le pays ne reviennent même pas s’y marier. C’est ce qui permet à ces Européens de faire les difficiles sur les dots : ils épousent les demoiselles des meilleures familles, alors que leurs mamans sont blanchisseuses à Toulon ou à Cherbourg. »

Eva Fanjane s’efforce de les écouter, d’attacher sa pensée aux mots qu’elle entend ; elle ne dit rien parce qu’aujourd’hui elle n’a idée de rien dire, ne s’étant jamais sentie si différente d’elles. Elle, elle n’éprouve aucune attirance vers la France, il semblerait même qu’elle n’aime plus la mer. Si elle descend souvent au Barachois, avec une âme prompte et douloureuse, c’est parce qu’autour du pont comme autour d’un bateau la lame se presse on ne sait vers où, parce que chaque fois qu’elle pense à lui, elle ne se voit pas elle-même autrement que debout sur le Barachois, son mouchoir blanc sur les lèvres, mordu avec souffrance. Oh ! non ! elle n’aime pas l’Europe : toute sa vieille île est si jolie avec cette rade confiante dans la courbe pleine de la baie, avec ces sept ponts de bois roussi qui s’arrêtent court sur l’eau clapotante. C’est là-bas, entre les débarcadères des Marines, le pont La Bourdonnais, ce sont les vieux Bâtiments de la Marine couleur de rouille, la Douane avec sa