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en avoir en Europe. Mais la jeunesse inexpérimentée de Chouchoute s’emballe :

« Ne dites pas cela ! madame. Vous ne vous rendez pas compte du désir qu’il y a au fond de vous, mais on ne peut pas ne pas avoir envie d’aller en France ! Il y a quelque chose qui nous appelle quatre à quatre, à moins d’être toute en graisse comme Mme Philippe. Songez donc, madame Fanjane : nous ne sommes pas des nègres, nous descendons de gens nés en France. Luxembourg, Montparnasse, Batignolles, tous ces noms, je ne sais pas, me font voir des choses que j’ai sûrement déjà vues dans une autre vie : alors je démange d’aller vérifier si c’est bien ça. Tenez : les Champs-Élysées ! mais ça me dit à moi comme le Paradis ! Cependant je n’ai pas encore vu le Paradis et je ne sais trop si je le verrai jamais », reprit-elle en éclatant de rire. Et, nerveuse, elle se retourna sur sa taille : le visage tendu, ne regardant point les messieurs de cette île qui passent et repassent, elle observa capricieusement l’horizon.

— Je ne dis pas non, repartit Mme Fanjane, mais je me trouve si bien dans mon pays. Je ne raffole pas du tout des Européens : ils sont presque toujours mal élevés… et ne sont propres que superficiellement. Regardez ces petites femmes d’officiers qui font les faraudes aux colonies, elles ne savent ni s’habiller ni se tenir, elles n’ont reçu aucune éducation ; et quel genre ! » Elle plissa les lèvres. « Voyez-vous, ma petite Chouchoute, il ne faut pas croire que la perfection est là où l’on n’est pas ; nous avons gardé ici