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dit Eva, tenant à parler. Il s’est embarqué le même jour que Claude.

— Voyez un peu, fait remarquer Chouchoute à Mme Fanjane, quel air de satisfaction elle a : c’est le troisième fils qu’elle envoie dans la métropole aux frais de la colonie, et ils sont riches. Croyez-vous, reprit la jeune fille en papillotant des yeux, elle a affirmé l’autre jour que ses six enfants seraient fixés à Paris pour ne jamais revenir qu’elle ne quitterait pas le pays : elle a peur du mal de mer.

— Le mal de mer doit être une chose affreuse !… dit Eva.

— Tais-toi donc : c’est à peu près comme quand on danse au bal avec un gros monsieur qui vous dégoûte : on s’y fait. Puis tout le temps on se répète qu’on avance vers Paris ! On n’a rien sans rien ; c’est comme en amour, ma chérie : il faut souffrir un peu d’abord.

— Je n’aurais pas peur du mal de mer, déclara Mme Fanjane, mais je n’ai aucune envie d’aller en France. »

Et, bien que toujours très droite, elle raffermit encore son buste sur sa taille souple. Machinalement elle regarde à droite et à gauche. Il y a longtemps qu’elle ne porte plus le deuil de son mari, mais elle continue à s’habiller de noir qui va très bien à son teint, à son port flexible et fier, à sa condition de femme restée très jeune et qui a besoin de considération parce qu’elle est veuve, et plus désirable ainsi. À droite et à gauche se tiennent des hommes convenables, déférents et aussi élégants qu’il peut y