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EN FRANCE

les toilettes des jeunes filles, claires, ne flottent pas comme à l’ordinaire en écharpes soulevées du côté de l’horizon ; les jeunes gens n’ont plus à retenir leurs chapeaux de paille et peuvent suivre à l’aise les demoiselles qui, s’asseyant, ont déployé leurs jupes en éventail. Il n’y a presque de mouvement que le remuement mat des pas sur les planches, le ressac tendre des vagues entre les piliers de fer et les brise-lames. Ni voilier ni Havrais sur la rade ronde. Eva Fanjane, oppressée dans sa robe d’un bleu presque gris sous l’atmosphère marine, s’abandonne avec somnolence à sa tristesse lente et poignante devant cette mer à peine mobile.

Mais d’une fenêtre obscure percée dans la falaise, brusquement une fumée s’est élevée comme un oiseau de mer. Eva Fanjane, le cœur agité, regarde ; et, se mouvant dans sa souplesse brillante, Anne de Vincendo égayée s’écrie : « Voilà le train ! » Tout le monde sur le pont s’est retourné : les toilettes pâles, par groupes, frissonnent ainsi qu’à la naissance du vent ; les jeunes gens se portent vers le parapet vivement, les visages éclairés des reflets de la mer. Des fonctionnaires nés en Europe, éveillés à ce souffle de France, se mettent à parler à la cantonade. Peu de personnes attendent de lettres importantes mais tout le monde a le cœur dilaté : c’est une sorte de prompte communication avec la France par-dessus un espace de vingt-quatre jours ; dans le même frémissement d’inattendu on se perçoit très éloigné et en même temps rattaché dans le vide, relié à quelque chose qu’on aime sans l’avoir vu ; on se sent exister