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terre l’éblouissent si fort, qu’il n’en reconnût le faux éclat. Arsène, rentrant quelquefois au dedans de lui-même par de salutaires retours, sentait que son élévation et ses richesses n’étaient que des biens passagers qu’on est forcé de quitter avec la vie, après quoi il n’y a que nos œuvres qui nous restent. Il le sentait, et la grâce qui agissait dans son cœur y imprimait aussi, avec ces réflexions, une vive crainte de perdre son âme. De temps en temps il se jetait aux pieds de Dieu, et, répandant devant lui ses larmes et ses prières, il lui demandait avec sincérité qu’il lui fît connaître ce qu’il devait faire pour se sauver. Enfin sa persévérance dans cette demande lui obtint de Dieu une grâce qu’on peut regarder comme l’époque la plus marquée de sa vocation à la sublime perfection où il s’éleva depuis.

Priant donc un jour à son ordinaire, et réitérant la même demande avec larmes et une humble supplication, il entendit une voix qui lui dit : Arsène, fuis la compagnie des hommes, et tu te sauveras. Soit que cette voix frappât extérieurement ses oreilles, soit qu’elle ne se fît entendre qu’au fond de son cœur, ce que son historien ne nous explique pas, elle ne fut pas moins distincte et n’opéra pas moins son effet. Ce grand homme, dont le cœur était déjà, comme dit saint Théodore, préparé au sacrifice par la crainte du Seigneur, ne différa plus après cet oracle ; et, méprisant généreusement toutes les frivoles grandeurs de la terre, il s’embarqua secrètement sur un vaisseau qui faisait voile pour Alexandrie, d’où il passa au désert de Scété pour embrasser la vie solitaire.

Il avait alors quarante ans ; ainsi ce pouvait être l’an 394, Théodose vivant encore, et lui n’étant resté que onze ans à la cour. Il se rendit tout de suite à l’église des solitaires, et s’adressant à eux, il leur dit avec beaucoup de modestie : « Je vous supplie de me