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des meilleurs auteurs latins, il ne pouvait sans répugnance se remettre à des alphabets et à des vétilles de grammaire ; de sorte que, rebuté par ce travail, il le quittait et le reprenait par intervalles, et se délassait de son ennui par les belles-lettres, qu’il n’avait pas abandonnées malgré la rigueur de sa pénitence. Mais Dieu, qui en voulait faire un des plus profonds interprètes de l’Écriture pour l’utilité de son Église, lui envoya une fièvre violente, durant laquelle il eut une vision où il lui fit connaître combien ce goût pour les auteurs profanes lui déplaisait, et le compte rigoureux qu’il en rendrait un jour s’il continuait à s’y appliquer avec une ardeur si peu convenable à son état de solitaire. Voici comment il en parle dans la même lettre à la vierge Eustoquie : « Telle était ma misère et l’excès de ma passion, qu’après avoir tout quitté pour servir Dieu et gagner le royaume du ciel, j’emportai avec moi les livres que j’avais amassés à Rome avec beaucoup de soin et de travail, et dont je ne pouvais me passer. Je jeûnais et je lisais Cicéron ; et, après de longues et fréquentes veilles, après avoir versé un torrent de larmes, que le souvenir de mes péchés passés faisait couler du fond de mon cœur, je me mettais à lire Platon : et lorsque, rentrant en moi-même, je m’appliquais à la lecture des prophètes, leur style dur et grossier me révoltait aussitôt. Aveugle que j’étais et incapable de voir la lumière, je m’en prenais au soleil au lieu de reconnaître mon aveuglement.

« Séduit donc et trompé de la sorte par les artifices de l’ancien serpent, j’eus vers la mi-carême une fièvre qui, pénétrant jusqu’à la moelle de mon corps, déjà épuisé par de continuelles austérités, me dessécha tellement que je n’avais plus que les os. Comme mon corps était déjà tout froid, et que je n’avais plus qu’un reste de vie que la chaleur naturelle entretenait en-