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être loin de la religion ; ils sont cependant capables d’attirer puissamment tous les esprits religieux moins épris d’un idéal stoïque que d’un quiétisme enseignant l’oubli des réalités humaines. Et si par leur sensualisme extrême ils se rapprochent de ceux de Jean Lorrain et des Goncourt, par cette obsession de l’Infini qui les pénètre, ils font songer plus encore au journal de Frédéric Amiel. Ce dernier certes est peu sensuel, et Loti n’est guère analyste ; mais chez tous deux les sensations et les idées, au lieu de se transformer en actes comme cela a lieu chez la plupart des hommes, s’accumulent toutes amenant une intensité d’émotion toujours douloureuse. En même temps naît chez Amiel comme chez Loti le besoin « de crier son mal » puisque, selon le mot de Gœthe, « Poésie, c’est délivrance ». Mais encore que le « journal » d’Amiel soit susceptible de charmer pendant des générations quelques délicats épris d’analyse intime, il ne décèle pas chez son auteur un artiste hors de pair, doué comme Loti de la faculté de charmer le lecteur en exprimant sa joie et ses souffrances.

Quelques moralistes ont été sévères pour Loti. Si les livres de ce dernier gardent une irréprochable tenue jusque dans les évocations les plus osées, ils ont encouru le reproche de déprimer les volontés. Les personnages de Loti ne sont assurément point fait, pour séduire les hommes d’action ; ce sont presque tous sinon des vaincus, du moins des contemplatifs qui ont la lutte en horreur. Ils ressemblent tous à Ramuntcho qui,