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d’évocations charmantes d’un Orient senti en artiste consommé. Sous le byronisme de parade d’Azyadé on sent somme toute « un pauvre garçon qui a froid au cœur », et qui souffre au sortir d’une enfance exceptionnellement choyée de se sentir livré à lui-même, sans idéal et sans foi.

« Le temps et la débauche, écrit-il, sont deux grands remèdes ; le cœur s’engourdit à la longue et c’est alors qu’on ne souffre plus. Il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de morale, rien n’existe de tout ce qu’on nous a enseigné à respecter ; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possibles, en attendant l’épouvante finale qui est la mort… Je vais vous ouvrir mon cœur, vous faire ma profession de foi : j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale. Je ne crois à rien, ni à personne, je n’aime personne, ni rien, je n’ai ni foi, ni espérance. J’ai mis vingt-sept ans à en venir là ; si je suis tombé plus bas que la moyenne des hommes, j’étais aussi parti de plus haut. »

Pourtant ce Loti blasé qui n’avait cherché qu’à combler le vide de ses journées en devenant l’amant d’une femme turque, a mis beaucoup plus de lui-même qu’il ne l’avait escompté dans cette aventure. Mais pour l’être hypersensible qu’est Loti, aimer c’est essentiellement souffrir et les causes de sa souffrance sont multiples.

Vous êtes séparés et seuls comme des morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente.