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LAI DE GUGEMER.

Ki la nef déussent garder,
Ni aveit nul, ne nul ne vit[1].
Enmi la nef trovat un lit,
Dunt li pecun è li limun
Furent al overe Salemun.
Tailliés à or et à trifoire[2],
De cifres et de blance ivoire ;
D’un drap d’Aufrique à or tissu,
Ert la coute qui dedens fu[3] :
Les altres dras ne sai preisier,
Mès tant vos di del’ oreillier,180
Ki sus i eust son cief tenu,
Il ne l’éust jamais kenu[4].
La couverture tut sebelin,
Taillié d’un drap Alixandrin.
Deus chandelabres de fin or,
Les pieres valent un trésor,
El cief de la nef furent mis,
Desus out deus cirges espris[5] :
De çeo esteit moult merveilliez.
Desor le lit s’est apoiez,190
Reposé s’est et sa plaie deut,
Puis est levez, aler s’en veut :
Il ne pout mie returner,
La nés esteit en halte mer,
Od lui s’en vat délivrement,
Bon oret a et suef vent.
N’i ad mais nient de sun repaire,

  1. Ne vient nul, ne nul n’en veit.

  2. Taillez à or tut à triffure
    De ciprès è de blanc ivoure,
    D’un drap de seie à or teissu,
    Est la colte ki desus fu.

    Les mots triffure ou trifoire signifient pierres précieuses, pierres montées. Le ms. de France porte chiffre, et celui d’Angleterre porte cyprès. Le Grand d’Aussy, dans la traduction de ce Lai, loc. cit., t. III, p. 253, adopte la seconde leçon.

  3. Coute, couverture. Ce mot désigne encore un lit de plume, un matelas, culcita. Voyez Supplément au Glossaire de la langue romane, au mot Keulte et Kouke. Le ms. du Museum Britannicum porte coltre. M. Douce propose le mot coilte.
  4. Jamais le peil n’aureit chanu.
    Le covertur tut sabelin,
    Tost fu du purpre Alexandrin.

  5. Cierge est l’expression consacrée pour désigner des bougies. Ce dernier mot se trouve employé pour la première fois dans une ordonnance de Philippe-le-Bel, en 1312, concernant les épiciers ; il leur défend de mêler du suif dans la cire des bougies. Voyez Ordonnances des rois de France, tom. I, p. 511 et 513.