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LAI DE GUGEMER.

N’aies-tu jamès garissun,
De la plaie ke as en la quisse,
De-ci que cele t’en guarisse,
Ki suffera pur tue amur,
Si grant paine è si tel dolur,
K’unkes femme taunt n’en sufri :
Et tu referas taunt pur li,120
Ke tut cil s’en merveillerunt
K’aiment, è amé averunt,
U ki puis amerunt après ;
Va t’en de-ci, me laisse en pès.
Gugemer fu forment blesciez,
De çou k’il out est esmaiez ;
Coumençat soi à purpenser,
En quel tere purrat aler,
Pur sa plaïe faire guarir
Kar ne se volt laissiez murir.130
Il set assez è bien le dit,
Ke ainc femme nule ne vit
A ki il aturnast s’amur,
Qu’il’ garesist de sa dolur.
Sun Vallet apela avaunt :[1]
Amis, dist-il, va tost poignaunt
Fais mes compaignuns returner,
Kar jo vauroie ad eus parler.
Cil point avaunt è il remaint
Mult angousseusement se plaint ;140
De se cemise estreitement

  1. Ce titre, synonyme de celui de Damoiseau, n’avoit rien d’avilissant ; il désignoit tout jeune homme en âge de puberté, qui n’étoit pas marié, qui étoit sous la domination de son père ou d’autres personnes chargées de sa conduite et de son éducation. On désignoit, sous le titre de Valet, les fils de rois, de grands seigneurs, qui n’étoient pas encore parvenus au grade de la Ceinture militaire ou de chevalier. Villehardouin nomme le fils de l’empereur d’Orient le Varlet de Constantinople. Dans le fabliau d’Aucassin et Nicolette, Aucassin, fils du comte de Beaucaire, est appelé le gentil valet. Enfin, dans un compte de la maison de Philippe-le-Bel, cité par de la Roque, Traité de la Noblesse, p. 6, les trois enfants de ce monarque, ainsi que de plusieurs autres princes sont qualifiés de Valets. Voyez Glossaire de la langue romane au mot Valet.