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LAI DU FRÊNE.

filles. Je vous demande si la voisine ne fut pas alors bien vengée, et quels regrets eut à son tour la méchante. Malheureuse que je suis, dit-elle, que ferai-je ? me voilà déshonorée pour la vie. Je vais être méprisée de mon mari et de mes parents qui vont me haïr, d’après les propos que j’ai tenus sur ma voisine. Ils ne voudront plus croire à ma vertu dès qu’ils seront instruits de mon aventure, je me suis condamnée moi-même, en soutenant qu’une femme ne pouvoit avoir deux enfants, si elle n’avoit eu commerce avec deux hommes. Or, pareil malheur m’arrive et je me trouve dans la même situation que ma voisine. Je vois maintenant la vérité de l’adage : Qui médit des autres et les blâme, ne sait pas souvent ce qui doit lui arriver. Mieux convient la louange que la critique ; car si j’avois profité de cet avis, je ne serois pas tant à plaindre. Il me faut faire périr un des enfants ; j’aime mieux implorer la miséricorde divine pour ce crime que d’être avilie et maltraitée. Les personnes qui prenoient soin de cette femme, s’empressèrent de la consoler et la prévinrent