Page:Marie de Compiègne - L’évangile aux femmes.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39

Celui qui se fie trop à la femme a assurément la rage au cœur.
Il déteste son repos et son intérêt et aime son dommage.
Et plus elle est humble, et craintive, et sage,
Moins alors j’ai confiance en elle, autant qu’au chat qui est devant un fromage.

[1]

  1. ix. a. — B : Hom qui se fie en feme (Cf. B. V. b, et D, V. a, et la note au c. VI. a, ms. A.) bien a el cors la rage. ix. b. — B : et s’aime son domage (s’ = si, adverbe). ix. cd. — B :

    Quar com plus li samble humble et cremeteuse et sage,
    Adonc la croi autant com chat au fres frommage.

    M. Jubinal imprime comme au lieu de com, ce qui fait le vers faux et vient d’une erreur de lecture.

    Nous aurons bientôt à relever de sa part des erreurs plus graves qui touchent au sens.

    ix. 2. Preu = (prou, prod, preut) = profit, avantage. Il dérive de la préposition latine pro. Il semble que le verbe prod-esse (être utile), où pro conserve le d primitif disparu plus tard, n’a pas été sans influence sur ce mot. Cf. l’ital. contro = désavantage, du latin contra (Littré). — M. G. Paris voit dans prod (de prodest), la racine commune de prou = profit, de prou, adverbe) = en abondance (Cf. en patois du Rouergue, prou = assez), et de prod, proz, preux = utile, bon, brave.

    Sen preu. Le ms. A donne sen, B donne son. Nous savons, en effet, que le ms. A seul était picard. Sen se trouve déjà dans le fragment de Valenciennes (xe siècle) (un edre sore sen cheve), et paraît particulier à la Flandre et à la Picardie (Cf. l’en = l’on),

    Damage, forme picarde ; bourguignon, dommeige; provençal, damnatge, v. fr. domage, doumage, demage, demace. Ce mot semble dériver de damnum, ou plutôt de la forme bas-latine damnaticum, qui explique très-bien les formes picardes et provençales. Mais domage et demage sont plus difficiles à expliquer par cette étymologie car si l’o devient facilement a ou e (dominus = dame, l’en = l’on, dans notre texte)’; en revanche il est très-rare que a devienne o : ce qui fait soupçonner à M. Littré une origine germanique, ou encore (c’est plutôt mon avis) le verbe domare ; au moyen des formes dérivées domacium, domalicum. Il peut se faire qu’il y ait eu influence réciproque des deux racines damnum et domare, dans les formes qui ne s’expliquent pas convenablement par damnum.

    se = sa, forme picarde. Cf. le = la, pronom et article féminin (A. XXXIII, 3, le fin, et XXII, 3, qui le croit). Cf. aussi A. XII. d.

    ix. 3. — Cremeteuse = craintive. Modification remarquable du tr en cr, Tremere en latin a donné trem’re, crem’re, puis en v. fr. criendre (et aujourd’hui craindre), d’un côté, et de l’autre cremir, par un changement dans la quantité, et la conjugaison (tremére"" au lieu de trémëre). De cremir est venu le substantif (crieme, craime,) creme = crainte, qui a servi à former notre mot cremeteuse, et qui laisse mieux la racine à laquelle s’est joint le suffixe eux, du latin osus.