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(Anonymus Neveleti). Il suffira, pour s’en convaincre, d’examiner quelques titres : Dou cerf ki vit ses cornes en l’iaue, tandis qu’il beveit ; — D’un coc ki trouve une gemme sor un fomeroi (tas de fumier) ; — D’un lion ki malades fu ; — Du leu qui cuida de la lune ce fust un fourmaige, c’est-à-dire Du loup qui s’imagina que la lune était un fromage; — D’une lisse (chienne) qui vulait chaaler (faire ses chiens) (c’est la lice et sa compagne de La Fontaine.)

Je ne m’étendrai pas sur le mérite de ces fables, traduites par Marie, comme elle le dit dans le Prologue, pour l’amour du comte Guillaume. L’échantillon que je viens d’en transcrire peut donner une idée de l’ouvrage ; mais il ne saurait suffire à faire connaître l’étonnante variété des tournures, l’originalité de certaines fables personnelles, la grâce, l’exquise simplicité qui règnent dans ces productions à la fois naïves et savantes. Les fables de Marie sont composées avec cet esprit sagace qui pénètre les secrets du cœur humain ; elles se font remarquer presque toujours par une raison supérieure, par une justesse fine et délicate dans la morale et les réflexions. Car la simplicité naïve du récit n’exclut pas ici la finesse de la pensée ; elle n’exclut que l’afféterie. On y retrouve ce naturel, ces franches allures de style particulières aux romans et aux fableaux du moyen-âge, et qui font qu’on se demande si La Fontaine n’a pas eu entre les mains l’Ysopet[1]. Certaines tournures de phrases, certaines expressions pittoresques de notre auteur, se retrouvent en effet presque intactes chez le grand fabuliste du dix-septième siècle.

La lecture des fables de Marie emprunte aussi un vif intérêt au caractère personnel des réflexions qu’elle place au commencement ou à la fin de chacune d’elles ou qu’elle laisse

  1. On sait que La Fontaine a surtout imité les conteurs français et italiens des quinzième et seizième siècles, et quelques auteurs de fableaux. Il faut y joindre Rabelais.