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un petit vin roumain qu’ils s’étaient fait servir, on eût pu les reconnaître pour Moscovites. Les fenêtres ouvertes livraient passage à des flots de fumée de tabac et à des douzaines de bouchons avec lesquels ces officiers trouvaient plaisant de bombarder les passants paisibles.

— N’importe ! fit Ioury Levine, c’est joli ici ! Il y a des arbres… qui ont des feuilles, tandis qu’à Pétersbourg !… J’ai toujours aimé les arbres et les feuilles, reprit ce jeune hussard qui semblait doué d’une sensibilité assez rare chez les gens de son espèce.

— Fi donc ! cela est bon à dire au bal à la comtesse M***, s’écria un grand gaillard qu’on appelait Bogoumil Tchestakoff. Moi, je n’ai jamais pu souffrir les verts feuillages, les frais ombrages, comme dit ma vénérable tante qui se pique de littérature et qui prétend que cette aversion que j’ai pour la nature dénote chez moi un cœur sec. Soit ! cœur sec, mais gosier humide ! s’écria-t-il en avalant, tout d’un trait, le contenu de son verre.

— C’est qu’ils ont d’excellent vin, ces Valaques !

– Et des petits pâtés, donc ! ajouta un gros Polonais qui en avait la bouche pleine, ils sont très-forts pour les petits pâtés !

— Dis donc, Bogoumil, insinua Stenka Sokolitch qui semblait appartenir à l’ordre des échassiers, il faudra tâcher de rester ici le plus longtemps possible, hein !

— Le grand-duc Nicolas soignera ça, dit Bogoumil en clignant des yeux, et grâce aux jolies femmes…

— Oh ! pour les femmes, c’est autre chose ! se récria Iégor Moïleff, sorte de Don Juan pétersbourgeois : ce sont de rudes vertus que ces petites Daces !

— Ah ! est-ce que tu aurais tenté ?… fit le Polonais avec un gros rire qu’il s’efforçait de rendre malin.

— Eh oui ! soupira négligemment Iégor. Que faire en