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jour, il reprenait ses courses sans but à travers le dédale des rues. Il recherchait les endroits fréquentés ; le bourdonnement incessant des voix, la circulation continuelle des passants, tout cela finissait par engourdir cette foule de pensées sombres qui se pressaient, comme un essaim de papillons noirs, sous son front prématurément ridé.

Les regards des boyards et des gens du peuple s’arrêtaient avec une égale commisération respectueuse sur ce soldat estropié, à l’uniforme déchiré, au visage balafré.

Quelque misérable qu’il fût, il leur semblait plus grand que le Domnù[1] lui-même : n’avait-il pas versé son sang pour la patrie ? Et, sans qu’il se doutât de l’admiration naïve qu’il excitait, Ioan marchait, marchait toujours fuyant ses souvenirs.

Un soir, il se rendit à la gare Philarète avec l’intention bien déterminée de rejoindre son régiment en Bulgarie. Le train allait partir, Isacesco dut faire un effort pour poser son pied gauche sur le marchepied du wagon. Alors seulement le sentiment de son infirmité lui revint.

— Le bel éclaireur boiteux ! s’écria-t-il avec un rire amer, tandis que le train filait à toute vapeur dans la direction de Giurgévo. Il quitta la gare et, comme il avait soif, il se dirigea vers une fontaine publique. Pendant qu’il buvait à longs traits l’eau glacée, une petite fille pauvrement vêtue s’approcha avec sa cofitza[2] et, levant sur le dorobantz un regard timide, elle sembla le prier de lui faire place.

— Allons, va-t’en ! s’écria durement Isacesco.

  1. Titre roumain de l’hospodar.
  2. Cruche à eau.