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les forçats du mariage

immobile, l’œil fixe ; elle regardait, elle écoutait sans rien comprendre. Mais peu à peu le sentiment de la réalité et de sa situation lui revint. Ce fut horrible.

Cet homme qu’elle avait cru malheureux et qu’elle venait consoler, cet homme qui depuis deux jours la faisait mourir de douleur, il était là, au milieu de cette fête, le plus fou, le plus joyeux. Sa belle tête lumineuse resplendissait de toutes les ardeurs du plaisir.

Mais elle sentit tout son corps frissonner, puis une traînée de feu lui courir dans les veines, quand elle le vit se pencher vers sa voisine, la superbe Nana.

Cette belle fille avait un entrain de démon. Couronnée de raisins, l’œil plein d’éclairs, les lèvres rouges, entr’ouvertes, les cheveux épars sur ses épaules largement développées, souple et forte, orgueilleuse de sa beauté, fière de ses vices, elle apparaissait comme la reine de l’orgie.

On portait des toasts où l’esprit français, gouailleur et sceptique, étincelait à travers les incohérences de l’ivresse.

— À notre spirituelle grand’mère, la première des pécheresses, à Ève la blonde, criait Nana, la coupe en main, car elle a mis un peu de gaieté dans l’existence. Vive le péché, le joli, l’aimable péché ! À bas la vertu, la laide, la renfrognée !

— Hourrah ! pour Nana ; hourrah ! répétèrent tous les convives.