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les forçats du mariage

On vous supplie, ô trop belle Nana, d’être fidèle pendant deux jours encore, en signe de deuil, au malheureux trépassé.

Ton ex-Othello,
robert. »

Ces trois lettres terminées, Robert sonna :

— Jetez ces lettres à la poste, dit-il à son valet de chambre. Faites-moi servir mon dîner et qu’on apprête mon coupé. Je sortirai à sept heures.

Puis il s’étira les bras et soupira.

— Quelle fatigue que l’existence ! pensa-t-il. Les riches se donnent autant de peine pour s’amuser que les pauvres pour vivre. Celui qui travaille, du moins, n’a pas le temps de sentir son cœur : la fatigue physique le sauve de ces fièvres morales qui nous usent avant l’âge, nous, malheureux oisifs !… Et cette agitation maladive devient pour nous, non-seulement un attrait, mais un impérieux besoin.

C’est pourquoi je ne puis aimer Marcelle ; car ce serait le bonheur sans fatigue, sans souffrance. C’est pourquoi j’aimerai Juliette, quoi que je fasse, parce que Juliette, c’est l’émotion vertigineuse, la passion qui fait souffrir, mais qui fait sentir la vie… Néanmoins, ce soir, j’essayerai de rompre, je lui annoncerai mon mariage.

Il se leva. En pensant à Juliette, une chaleur brûlante l’avait envahi, ses mains étaient moites ; une sorte d’angoisse lui tordait les nerfs.