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les forçats du mariage

ami Pierre Fromont me refuse même le sens moral ; et il a peut-être raison, si l’on entend par sens moral le respect des conventions sociales. En fait de morale, l’ergotage philosophique est pour moi lettre close. Je ne reconnais qu’une morale, la bonté ; le Christ disait l’amour : c’est la même chose. Le mal, selon moi, n’est pas de manquer à des devoirs sociaux ou mondains, plus ou moins étroits, puérils ou injustes ; le mal, c’est de faire souffrir son prochain. Or, Juliette, songez-y ; si vous quittez votre mari, ce sont trois existences à jamais brisées et malheureuses, celle d’Étienne, celle de votre enfant et la vôtre. Il vaut mieux continuer à le tromper.

— Mais tromper, c’est pour moi une souffrance de toutes les heures. Je suis fière : le mensonge m’est odieux, parce qu’il m’avilit.

— Ma chère amie, repartit Robert, vous êtes encore très-romanesque ; le mensonge est une nécessité sociale, puisque la plupart des relations sont basées sur la fausseté. Vous vous habituerez à mentir.

— Mais encore, cette existence ainsi partagée m’est insupportable. Enfin, il veut m’emmener à Rio-Janeiro.

— Qu’est-ce qu’un voyage de six mois, si cela peut nous assurer ensuite une complète sécurité ?

— Ah ! vous ne m’aimez plus, vous ne m’aimez plus ! s’écria-t-elle désespérée.