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les forçats du mariage

— Ainsi, monsieur, nous ne nous reverrons jamais !

— Hélas, madame, ce n’est guère probable, répondit-il avec tristesse.

— Vraiment, j’ai bien du malheur, reprit-elle. Hier, je pensais à vous, monsieur. Je vous avais vu la veille, si affligé, si bon pour moi cependant, au milieu de votre douleur ! Et je me disais qu’une amitié comme la vôtre m’aiderait à supporter bien des chagrins ; car, moi aussi, j’ai de grands chagrins.

— Vous aussi, madame ? dit Étienne.

— Ne vous en êtes-vous jamais douté ? fit-elle avec un sourire navrant.

— Quelquefois, en effet, j’ai cru deviner…

— Ah ! j’ai bien souffert, je souffrirai toute ma vie. Mon existence est à jamais brisée. Il n’y aura plus jamais pour moi ni joie ni bonheur.

— Vous le croyez, madame ; mais on se blase sur la souffrance comme sur le plaisir.

— Sans doute, continua-t-elle, il y en a qui peuvent changer d’affection. Moi, je ne le puis pas ; je suis faite ainsi. Mon père prétend que je ne comprends rien à la vie, ni au cœur humain, que j’ai des exigences impossibles. J’entends dire autour de moi que la constance est le propre des esprits bornés, des cœurs étroits. Êtes-vous aussi de cet avis, monsieur ?

— Oh ! non certes ! Les natures constantes sont,