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les forçats du mariage

Il y a parmi les hommes, comme parmi les végétaux, cela est incontestable, des êtres utiles et des êtres de luxe. Toute modestie à part, puis-je me classer parmi les légumes ? Non, car je ne suis bon à rien. Ma destinée, c’est le plaisir.

Le mariage, cette belle institution sociale, a été inventé évidemment par les hommes légumes à l’usage des hommes légumes ; et si je me résous à descendre dans cette classe intéressante des légumineux, c’est que mon mariage doit m’apporter trois cent mille francs de rente.

Les industriels Rabourdet payent à leur unique enfant le titre de comtesse. S’inquiètent-ils autrement de son bonheur ? Non. Et pourtant, selon toute probabilité, elle sera malheureuse.

Toutefois, je suis moins pervers qu’on ne le pourrait croire : j’ai des remords. Je sens fort bien que je commets-là une très-vilaine action. C’est la première de ma vie. Je le dis avec quelque fierté.

Vendre son titre, c’est honteux, crieront les augustes fossiles du noble faubourg. Mais moi, qui n’attache à ce titre que la valeur qu’on veut bien lui donner, je le vends avec d’autant moins de scrupules que les Rabourdet me l’achètent fort cher.

Ce qui me semble déloyal, immoral même dans le sens vrai du mot, c’est d’engager frauduleusement ma liberté, alors que je compte bien la garder tout entière ; c’est de me lier par un serment