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les forçats du mariage

désastres inouïs ! Cependant, rassure-toi : je n’ai subi dans ma personne aucune avarie grave, ni au moral, ni au physique. Je continue à jouir de l’usage complet de mes facultés. Je possède encore toutes mes dents et la plus grande partie de mes cheveux. J’ai toujours bon estomac, et mon cœur se porte bien. Je n’aspire en un mot ni à la monotonie nauséabonde du pot-au-feu, ni aux douceurs émollientes de la famille.

Quoi donc a pu me conduire à cette résolution désespérée ? Un beau matin, le comte de Luz s’est réveillé comte Job, c’est-à-dire ruiné de fond en comble. Les huissiers étaient à ma porte, menaçant de saisir mon mobilier et mes tableaux, mes beaux tableaux ! Au mot tableau, tu t’attendris, n’est-ce pas ? mon cher artiste. Toi qui es un sage, tu ne comprends guère qu’on puisse manger en dix ans une fortune de huit millions. J’ai jeté mon argent par toutes les fenêtres ; je suis un vil dissipateur, je le reconnais, je m’en flatte même ; car le dissipateur, selon moi, a une véritable mission sociale : il éparpille ces monstrueux amas de richesses qui font les grandes misères.

Or, que pouvait faire un pauvre diable de comte comme moi, sans comté et sans un sou vaillant ? Travailler ?… À quoi ? — Ce n’était pas possible. Sérieusement, est-ce que je suis fait pour cela ?

Le stoïcisme dans l’infortune, les joies du travail austère, épargne-moi ces vertueuses sornettes.