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les forçats du mariage

— Mais, pour le rendre jaloux, répondit-elle, il faudrait que quelqu’un m’aimât, me fit la cour, que je devinsse coquette. Moi, coquette ! je ne le pourrais pas. D’ailleurs, tous les autres hommes m’ennuient et ne m’inspirent que de la répulsion.

— Tu n’as donc ni colères ni révoltes ?

— J’ai un profond chagrin, voilà tout. Il me serait impossible de le voir souffrir un seul instant les tourments que j’endure depuis un an. Il me tuerait, qu’en mourant je lui pardonnerais encore.

— Bon et cher cœur, dit tristement Cora ; mais sache bien, mon enfant, que pour retenir un homme, il ne s’agit pas seulement d’être tendre, dévouée, miséricordieuse ; il faut avoir un léger grain de perversité. Et même, ce sont souvent les femmes les plus perverses qui exercent sur les hommes le plus d’empire.

— Et moi, je ne sais qu’aimer.

— Aussi tu aimes pour deux : car il semble qu’entre deux époux il n’y ait qu’une somme d’amour à dépenser : ce que l’un a en plus, l’autre l’a en moins.

— Alors, que faire ?

— Paraître aimer moins, pour l’être plus.

— Mais, au point où nous en sommes, je paraîtrais indifférente, coquette même, qu’il ne s’en apercevrait pas. L’autre jour, je laissai échapper un reproche ; il me répondit par cette parole horrible que je n’oublierai jamais : « Laisse-moi donc