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les forçats du mariage

Si elle n’eût jamais connu Robert, peut-être se fût-elle contentée de la tendresse de son mari. Mais ce premier amour contrarié avait irrité son imagination, éveillé en elle des aspirations, des curiosités que l’amour conjugal ne pouvait apaiser.

Comme le disait Pierre Fromont, il y a des natures calmes, constantes, faites pour le mariage ; ce sont les plus nombreuses ; mais il en est d’autres pour lesquelles le mariage est un étau mortel : natures exubérantes, avides d’émotion, parce qu’elles ont de la force nerveuse à dépenser, vite rassasiées, parce que leur esprit inquiet aspire sans cesse à l’insaisissable idéal ; natures d’artistes, en un mot, que le calme tue, que l’excitation seule fait vivre. Ce sont celles-là surtout qui causent ces chocs violents, ces méprises si douloureuses, tous les martyres du mariage.

Étienne avait épousé Juliette sans la connaître, séduit par le charme magnétique de sa beauté. Après huit mois de mariage, il ne la connaissait guère davantage, car il était toujours amoureux.

Peut-on prévoir d’ailleurs ce que deviendra, au contact du monde, au frottement des passions, une jeune fille qui sort du couvent ou qui n’a jamais quitté la jupe de sa mère ?

Juliette elle-même s’ignorait. Elle sentait confusément s’élever en elle des orages, des protestations, des désirs dont Robert était le but ; mais encore était-ce bien là de l’amour ? N’étaient-ce pas