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vraisemblable cruauté du destin. Douée en toute chose, forte et agile comme la mâture des voiliers qui bondissent sur cet amer océan dont votre brumeux et clair regard contenait la pensive liquidité, vous ne voulûtes servir que l’intelligence. Au cours de votre admirable Journal, vous parlez sans cesse de l’intelligence, que vous saviez posséder ; vous en parlez avec l’orgueil d’une vivante qui n’est pas débitrice du sort, mais qui tient tout de soi-même. Née robuste et allègre, puissamment soulevée vers la joie, vous fûtes atteinte et détruite soudain dans ces méandres ténus et mystérieux de la vie intérieure par où l’âme chemine, développe sa force et sa clameur et vient accoster les autres âmes.

Tout votre génie présida à votre résurrection. Sous le regard accablé et si touchant de votre mère, qui semblait n’avoir plus rien fait pour vous que de vous avoir vouée par l’existence à la détresse insigne, vous recomposâtes l’enfant incomparable qui était issue d’elle, et prenant à votre charge tout le travail sacré de la création, vous fûtes mère de votre esprit, conductrice sévère et perspicace de vos pensées, de vos désirs, éducatrice ferme et patiente de ces rouages rompus en qui vous conserviez intacte, accrue par l’effort, l’intelligence qui chez tout autre être eût fléchi, eût abandonné ces chemins bouleversés par où vous la guidiez vers les plus amples sommets.

Ayant fait combattre d’heure en heure votre esprit