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des autres ! Quand nous passions au grand ru’sseau, la jument buvait un coup, et grand-père — on apporte toujours la hache quand on va à la Rivière — grand-père, dis-je, nous coupait un petit merisier bien chargé et le lançait sur le voyage pour charmer nos loisirs. Ah ! la petite merise ! Il n’y a pas deux fruits comme ça sur la terre laurentienne ! Pas sucrée du tout, un peu sûrette ; plus on en mange, plus on veut en manger, et quand on se croit enfin rassasié, on s’en va souper comme si rien n’était. La petite merise peut se manger de bien des façons : dans un vaisseau, à la poignée, grimpé sur l’arbre, mais la vraie manière incontestablement, c’est comme ça, vautré dans le foin odorant, cahoté par la route et caressé par la brise du soir !…

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Sur le renchaussage, les épis de blé étaient complètement dégagés, le sarrasin presque mûr, et l’avoine, un peu en retard, ouvrait sa panicule gracieuse. Un matin, Aimé Pâquin, revenant à pied de chanter la messe des morts me cria sans quitter le chemin :

— Conrad ! v’là le temps de faire tes récoltes ! Si tu fais un bis, invite-nous !

— Oui, monsieur Pâquin !