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crêpes s’empilaient indéfiniment, séparées par des hachures dorées de sucre du pays et, comme l’homme ne vit pas seulement de crêpes, une serviette blanche enveloppait une brique de lard froid. À la Rivière, on dînait sur le pontage de la petite grange. Lorsque les hommes, ayant bien mangé, commençaient à rouler leur bougrine sous leur tête pour claquer un somme, c’était le moment pour nous, les jeunes — on n’a guère le temps de dormir à cet âge ! — de sortir nos lignes et de nous couper un bon manche dans les cerisiers. À cette heure chaude du jour, les grosses carpes dormaient au soleil, immobiles, remuant imperceptiblement leurs nageoires et leurs branchies. Il n’y a rien de stupide comme une carpe, surtout une carpe qui dort. Nous avions beau présenter nos hameçons sous leur bouche idiote ! nenni ! elles ne bougeaient pas. Quand il devenait bien avéré que rien n’y ferait, nous nous vengions en les lardant avec nos manches. Vraiment, les petites truites du grand ru’sseau étaient beaucoup plus intéressantes ! Parfois un poisson blanc, d’un brusque coup de queue se renversait un instant, présentant au soleil son flanc d’argent. Un éclair courait alors sur les ardoises grises et le sable blond, allumant à nouveau nos convoitises. Nous chassions le fugitif de pointe en pointe jusqu’au moment où nous voyions la charrette s’avancer