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PRÉFACE

bleue d’eau et touffue d’arbres, comme au Témiscamingue, toujours il l’aime, et rien n’émeut plus sa pensée que de divulguer le mystère d’un sentier vierge. Ah ! la grande nature canadienne, qu’elle est belle avec ses lignes de douceur et d’écrasante majesté ! Ces ciels qui nous enveloppent de si graves crépuscules, cette robe d’eau verte dont l’ampleur émerveille et que le fleuve étale des Grands Lacs au Labrador, et ce profil du Nord, infernal sur ses eaux noires… impressionnant pays ! Il admire. Et il s’étonne qu’un grand sol qui offre de si riches éléments d’art, ait suscité si peu de poèmes et de tableaux. On oublie de donner une voix à ces vastes horizons. Un trésor de beauté attend d’être mis en valeur et l’on ne pense pas d’en faire profiter notre littérature. Si on savait voir le Canada ! La région la plus humble, si le rêve la visite, peut devenir inspiratrice de poésie, et notre Peribonka qui n’existait, hier, que dans la vision des défricheurs, ne fut pas ingrate à Louis Hémon faisant effort pour la connaître, puisque le don qu’elle lui fit fut le plus délicieux poème, sa discrète et désormais inoubliable « Maria Chapdelaine. » Combien d’autres rivières, sœurs de la Péribonka, plus belles qu’elle, attendent un cœur attentif et doux pour les chanter.

Le Frère Marie-Victorin, qui souhaiterait un Mistral sur tous les chemins du pays, attache à tous les paysages sa ferveur de botaniste, et, d’avril au mois de la verge d’or, il regarde les fleurs tisser à sa Laurentie le plus joli manteau, et l’œil baigné de couleurs végétales, il regrette le mutisme des poètes, oublieux d’emprunter aux fleurs natales des rimes nouvelles, eux qui font, parfois, la méprise de nous prêter une flore exotique.[1] Et puisque les patients rêveurs de l’asphalte des villes s’obstinent à se priver de la grâce des

  1. Voir la « Revue Canadienne », octobre 1917.