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taire et connaître les places. On s’approche avec des précautions d’apache sur le sentier de la guerre, évitant de faire ombre, d’agiter les joncs et les iris bleus ! On laisse tremper sans bruit cinq ou six pouces de corde dans cet angle noir où s’est ramassée un peu d’écume savonneuse… Et, tout à coup, vous sentez une petite furieuse qui se démène et veut vous entraîner, vous, votre corde et votre manche, dans son repaire. Vous tirez violemment et — il n’y a pas de bonheur comme ça sur la terre ! — la petite chose brillante et rageuse se tord au soleil, tandis que vos copains jaloux quittent leurs places et arrivent à toutes jambes essayer la vôtre !…

Quand tous les remous de la savane sont vidés — pour ce jour-là — on entre dans le bois. La pêche se complique, mais devient plus passionnante : la grosse se tient au frais, c’est connu ça ! Il faut réduire la corde au strict minimum, marcher avec encore plus de précaution, ne pas emmêler sa ligne dans les saules, écarter d’une main les fougères et de l’autre… présenter la tentation. Vous êtes là, retenant votre souffle ! Aïe !… Un grand coup qui vous secoue le bras délicieusement ! Voilà le moment angoissant ! Il faut tirer énergiquement, bien calculer son angle, utiliser le peu d’espace entre les branches qui se croisent au-dessus de vous. Si vous en accro-