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la main et reluisants de santé. Nous allions nu-pieds, le long de la clôture, suivant les sinuosités capricieuses que font toujours, on ne sait pourquoi, les sentiers des vaches, grisés de lumière et de liberté, broyant entre nos doigts les petites têtes des renoncules, cueillant un brin de mil au passage, toujours anxieux de sauter la clôture et d’appâter nos lignes.

J’affirme que ceux qui n’ont pas pratiqué les ruisseaux ne connaissent pas l’art délicieux de la pêche. Ils ne se doutent pas de la somme d’ingéniosité, de technique et d’émotions aussi que représente l’enfilade de petites truites embrochées dans la branche d’aulne. La truite est peureuse, brusque en ses mouvements, amie de l’ombre et du mystère. Elle se loge dans le retrait de la berge, sous les grandes feuilles des plantains d’eau, sous les racines des souches, à l’abri des corps morts tombés en travers. Advenant un petit pont, vous êtes sûr qu’elle se tient immobile sous les pièces. À l’heure de la pleine lumière, elle sort parfois chauffer son dos au soleil, mais le moindre bruit, la chute d’une feuille sur la face de l’eau, l’ombre d’un oiseau passant à tire-d’aile, la font disparaître comme un éclair.

Pour pêcher la truite de ruisseau il faut un plomb, une petite corde et un manche pas plus long que le bras ; mais surtout il faut savoir se