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Quand, la première fois, j’arrivai à Saint-Norbert pour les vacances, et qu’après les embrassements d’usage, tante Phonsine s’en fut retournée à sa poêle où gémissait une crêpe au lard, grand-père, tout en bourrant sa pipe, me dit, moitié plaisant, moitié sérieux :

— Eh bien ! Conrad ! tu viens nous aider à cultiver, comme ça ?

— Oui, pépére, répondis-je timidement.

— On a grand de terre, tu sais, et il nous faut de bons hommes !

En disant cela, il me toisait des pieds à la tête, faisant des signes d’intelligence à mes oncles, qui, à quinze pas de moi, se balançaient sur leurs petites chaises à fond tressé. Égaré au milieu de ces insolentes vigueurs physiques, je sentais d’une façon très aiguë l’infériorité de l’habit noir et des mains blanches. J’enviais les petits gars sales et pattus, attirés par l’arrivée de quelqu’un de la ville et qui, mal dissimulés derrière le cadre de la porte, me dévisageaient avidement.

— Mon homme ! poursuivit mon grand-père après avoir allumé sa pipe et jeté son aiguillette de cèdre par la petite porte du poêle, mon homme ! ton père m’a écrit la semaine passée, et il a marqué sur la lettre de te montrer la culture, de faire de toi un bon habitant, comme lui quand il restait par ici et qu’il a marié Philomène…