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son accent était si convaincu et son regard si lointain quand elle me disait pour calmer mes gros chagrins d’enfant : « Mets cela au pied de la Croix ! »

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Après vingt ans d’absence, j’ai revu la Croix du Chemin. Elle n’avait pas changé. Elle était seulement un peu plus noire, la mousse tricoteuse avait atteint le gros nœud, et tout autour les humbles plantes dédaignées : laiches folichonnes, petits gaillets tout blancs, renouées aux feuilles éternellement maculées, verdoyaient toujours. Les enfants d’autrefois, devenus hommes, moissonnaient dans les champs voisins. Et dans l’ardente lumière, le balancement rythmé des larges épaules soulignait harmonieusement l’éclair des faux et l’écroulement des épis… Au pied de la Croix, d’autres enfants refaisaient avec étonnement la découverte de la nature et de la vie…

Et parce que nos cœurs sont des lyres qui vibrent toujours éperdument sous la brise délicieuse qui monte du val lointain de nos quinze ans, je suis resté longtemps, les pieds dans la poussière, à regarder la Croix du Chemin, toute simple et vieillie !…