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n’était plus l’œuvre de l’homme mais la terre canadienne elle-même, frémissante de ses millions de vies invisibles, qui jaillissait, ardente, pour cette exoration vespérale, c’était la terre chrétienne qui, dans l’apaisement universel, se signait pour la nuit !


Parfois le soir, après la veillée chez Pâquin, je revenais accroché au bras de l’oncle Jean…

Parfois le soir, après la veillée chez Pâquin, je revenais accroché au bras de l’oncle Jean à cause des crapauds errants qui traversent le chemin et que — j’en frémis encore, — mon pied nu pouvait écraser !… Vêtue de rayons de lune, la Croix du Chemin me parlait alors avec la mystérieuse éloquence de la nuit. Sur le velours moelleux du ciel, la ligne de faîte des grands pins drapés d’ombre courait très nette, dessinant capricieusement les pignons, les tours et les clochers d’une cité de rêve dont la Croix semblait garder l’entrée.

En écoutant les vieux parler du temps passé, mon imagination eut vite reconstitué les années de jeunesse de ma mère vécues ici, et, — à cause d’elle, — la Croix du Chemin me devint plus chère encore. Je touchai pieusement la planchette clouée sur le gros nœud où elle allait souvent, dit-on, attacher un bouquet d’humbles fleurs. Je devinai que j’avais devant moi le moule sacré où se coula cette âme si profondément bonne et si profondément chrétienne ; je compris pourquoi