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des premiers colons des Bois-Francs, vint de Gentilly à pied, n’ayant pour toute richesse que sa hache et ses bras. Un soir, il s’arrêta près d’une source. La terre, fraîche et noire, nourrissait des cèdres puissants. L’aïeul, m’a-t-on dit, déposa son baluchon, se signa, et d’un bras robuste, abattit deux arbres dont il fit une croix. Plus tard, quand son frère, mieux fourni, vint le rejoindre, que la maison de pièces fut faite, et qu’autour des souches noircies la première semence fut confiée à la terre, le colon acheva son ouvrage. Un beau matin, le soleil levant fit briller comme perles les pleurs dorés de la résine sur la blancheur du bois frais équarri et le coq traditionnel, naïvement sculpté, se trouva à son poste au sommet de la croix, tout prêt à faire chaque jour lever l’aurore !

Et c’est ainsi qu’autrefois, le Christ, ami des humbles, s’est établi à Saint-Norbert, dans le bas du rang de l’église. Dans les autres rangs, dans le sept, dans le trécarré, dans l’augmentation, on rencontre de belles croix ouvragées, blanc et or, avec des rayons de flamme et les instruments de la passion. Ici, l’on respecte pieusement le travail grossier de l’aïeul, l’humble croix de bois, simple et vieillie…

Quand, pour la première fois, l’oncle Jean, le bras tendu, me la désigna du tuyau de sa pipe, la pluie du ciel l’avait depuis de longues