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fûts carbonisés, où les bluets foisonnent dans la mousse spongieuse. Une fraîcheur subite et le rideau gracile des saules annonçaient alors l’eau prochaine, et sur la route débouchait tout à coup le ruisseau noir peuplé de truites peureuses qui viennent un instant jouer avec la lumière et rentrent vite sous le mystère des feuillages denses.

Quand Souris ayant bu tout son soûl, tirait la barouche dans le sable crissant de la dernière côte, mon cœur battait plus fort : je savais Saint-Norbert tout près ! Et soudain, en effet, la forêt s’arrêtait, l’horizon se déployait en tous sens, et devant moi, au centre d’un paysage immense et lumineux, la Croix du Chemin se découpait, émouvante, sur un ciel admirablement bleu.

Tout autour surgissaient la maison, la grange éblouissante, la gueule noire du four, le puits et sa brimbale, la petite laiterie et la barrière tournante balancée par un vieux soc rouillé. Beaucoup plus loin, s’arrondissait brusquement le premier contrefort des Alléghanys, — car c’est à Saint-Norbert que vient mourir la plaine laurentienne, — énorme épaule habillée de-ci de-là de la fourrure sombre des érablières… Enfin, tout en haut, le minuscule village tout blanc, serré autour de sa petite église toute rose…


Au centre d’un paysage immense et lumineux, la Croix du chemin se découpait…

Et cela n’était pour moi que le cadre retrouvé de la Croix du Chemin, simple et vieillie, dont la