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légère des jeunes feuilles, sans masquer encore la musculature puissante des grosses branches. Je l’ai vu aux petites heures, sensible à la prime caresse du soleil, accueillir avec un profond murmure la fine brise du matin. Mais c’est surtout le soir, quand nous redescendions vers Québec, qu’il était beau. Je manquais de mots alors, mais les images sont là, très nettes, dans ma mémoire. La lumière horizontale retouchait la forte tête et charpentait d’or bruni le baldaquin immense royalement dressé dans le ciel apâli. Puis, avec la retombée du soleil, les verts se fonçaient, des trous noirs se creusaient dans la masse lumineuse, et peu à peu, à mesure que l’ombre montait derrière, le charme s’éteignait doucement ! Vers l’heure où notre voiture passait au pas sur le pont Radeau, l’orme des Hamel se fondait dans la grande nuit.

Or, un soir que, après souper, Siméon, assis sur le bord de son renchaussage, fumait silencieusement sa pipe en regardant la buée violette s’élever au fond de « la Suète », il vit son voisin Charles Paradis, ouvrir la barrière et remonter l’allée.

— Bonsoir, Charles !

— Bonsoir, Siméon ! Ça va, les labours ?

— Oui. Mes deux grandes pièces sont faites. Demain je fais la terre noire.