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ces ormes appartenaient à des Hamel n’ayant entre eux et avec nous aucun lien de parenté.

L’orme de l’oncle Siméon avait trente-six pieds de tour à hauteur d’homme. Oui, trente-six pieds, bien mesurés à la corde ! Le dimanche, quand nous étions chez grand-père, à quelques arpents de là, nous coupions à travers l’avoine pour venir entourer le géant de la couronne de nos petits bras. Et je pense aujourd’hui à la scène délicieuse que cela faisait, à ces ardents papillons d’un jour que sont les enfants, posés pour un instant sur le pied noir du vieil arbre, à ces cris, à ces rires qui fusaient vers la cime et s’harmonisaient avec le babil des oiseaux sur le seuil des nids innombrables !

Ah ! l’orme des Hamel ! L’oncle Siméon pouvait labourer loin de l’autre côté du chemin sans quitter son ombre, et souvent aussi le soc plantait tout droit et l’attelage s’arrêtait court : la charrue venait de toucher une racine ! Siméon regardait alors avec orgueil pendant un instant l’arbre superbe ; puis, passant les guides à son cou et assujettissant sa pipe entre ses dents, il tirait dur sur les manchons, commandait les chevaux et continuait le sillon commencé.

L’orme des Hamel ! Je l’ai vu bien des fois et sous toutes les lumières. Je l’ai vu quand le printemps commençait à peine à tisser la gaze