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défunt mon grand-oncle — avait alors passé cinquante ans !

Et c’est là qu’ils étaient tous nés dans la petite maison grise qui n’avait en avant qu’une porte et deux fenêtres et autour de laquelle courait un bon renchaussage retenu par des poutres de cèdre. La terre descendait en pente douce vers Sainte-Foy, jusque dans « la Suète », belle terre, ma foi, encore assez féconde après trois siècles de culture pour nourrir cette formidable lignée.

On connaissait le bien des Hamel de dix paroisses à la ronde, à cause de l’orme gigantesque planté au bord de la route, l’orme bien des fois centenaire, plus vieux que l’histoire, aussi solidement établi dans la légende que dans la terre. Il était gros quand l’homme blanc parut aux rives du Saint-Laurent et les sauvages le disaient habité par un puissant manitou. Durant cent cinquante ans, sur le chemin du Roy qui poudroyait à ses pieds, il avait vu passer les beaux soldats de France et l’on racontait qu’à son ombre le marquis de Montcalm avait fait reposer plus d’une fois ses vaillants grenadiers. Il y a quelque trente ans, on voyait encore de la galerie de mon grand-oncle deux autres arbres semblables, l’un sur les hauteurs de Sainte-Foy, l’autre vers Lorette-des-Indiens, et, chose curieuse que grand-mère m’a souvent affirmée quand je lui tenais l’écheveau,